Le soleil venait de se lever, la demoiselle avait machinalement fermé les grands rideaux de soie bordeaux qui ornait le cadre de l'immense fenêtre. La veille, l’Éternelle s'était surprise à observer les tout nouveaux effets des rayons de l'astre du jour sur sa peau. La belle avait senti sa main chauffer puis elle l'avait vue rougir et enfin cloquer. Depuis, Jane ne voulait plus sentir les morsures inquisitrices de l'immense étoile brûlante sur sa peau.

Le bout de son index effleura l'interrupteur, tandis que l'ampoule dispersait les ténèbres de la somptueuse chambre qu'elle s'était réservée. L'Immortelle avait l'impression d'être une véritable reine à l'intérieur de cette luxueuse villa aux colonnes de marbre.

Elle quittait à présent la chambre, franchissant le couloir sombre jusqu'à atteindre une porte close. Derrière, Jane entendait des protestations à demi étouffées par un bâillon probablement trop serré. Silencieuse comme la mort, celle que la faucheuse a décidé de fuir était entrée dans la pièce. La silhouette sombre de la demoiselle semblait dépasser les deux autres, pourtant elle était loin d'être la plus imposante.

Ses captifs étaient contraints à garder une position assise tant l’Éternelle avaient serré leurs entraves. L'un des deux hommes lâcha alors un râle plaintif, rapidement suivi par le second. Au fond d'eux, l'espoir que leur bourreau les libère subsistait.

Dans un geste qui la surprit elle-même, Jane étouffa les premières suppliques en saisissant le cou du premier qui passait à portée de sa main. Même si elle n'était pas plus forte que lui, elle avait réussi à le soulever du sol. Mue par une soif intarissable elle plantait ses dents dans la lèvre inférieure du jeune mortel. Le liquide vermeil s'écoulait en un flot inconstant sur la langue et dans la gorge de l'Immortelle.

Écœurée, elle lâcha sa victime qui s'écroula dans un bruit sourd sur le parquet de bois. Jane ne comprenait pas cet instinct sauvage et nouveau qui prenait lentement vie en son sein. L'homme quant à lui s'était recroquevillé sur le sol, gémissant comme un animal blessé.

D'un mouvement lent et calculé, l’Éternelle saisit le poignet du mortel, le traînant sur le sol non sans mal. Derrière leur passage, elle laissait une fine coulée de sang, parsemée ci et là de gouttelettes de rubis liquide. L'homme n'avait arrêté de protester, de la supplier, pourtant elle n'avait point cessé de le tirer le long du couloir, l'amenant jusque dans la chambre qu'elle avait quitté quelques minutes plus tôt.

Jane le relâcha net lorsqu'ils furent devant l'immense fenêtre. D'une démarche féline elle avança jusque les épais rideaux qui protégeaient la pièce des rayons solaires. Ses doigts caressaient délicatement la soie, lorsque d'un mouvement vif elle tira la pièce de tissu.

Sa victime se voyait à présent exposée à la morsure de l'astre du jour. Durant quelques secondes le mortel sembla aveuglé, mais il ne souffrait, sa peau ne montrait aucun signe de brûlure. Tandis qu'elle refermait les rideaux, la demoiselle lâcha vivement la soie, comme si la matière était devenue aussi brûlante qu'une flamme. L'homme sembla surpris par cette situation encore inédite pour lui et dans un élan de lucidité, il lâcha entre ses dents serrées « Vampire... »

Les yeux ambrés de Jane se posèrent sur les prunelles olives du captif. Elle le toisait d'un regard impérieux et plein de rage. Les commissures des lèvres de celle qui semblait être une jeune femme s'étirèrent en un sourire qui dévoilait une dentition parfaitement alignée et blanche.  « On dirait bien oui... » Ce furent les dernières paroles que l'homme entendit avant de perdre conscience.

L'être ne se réveillerait jamais, l'Immortelle en prenait doucement conscience. Elle s'installait à présent face au miroir, détaillant son corps nu avec attention. Jane avait fini par détester ce visage d'enfant, celui que la mort l'avait forcé à garder pour l'éternité. Son poing s’abattit avec rage sur la surface réfléchissante. Ce ne fut que lorsque celui-ci fut fissuré en de nombreux éclats qu'elle constata cette lueur nouvelle au fond de ses yeux, une lueur prédatrice.

Quelques larmes roulèrent sur ses joues, elle était incapable de savoir s'il s'agissait de tristesse ou de joie. Elle comprit alors que le cauchemar était terminé, ces minables de la mafia sicilienne qui avaient profité de sa faiblesse. Ces bâtards qui l'avaient enlevé au beau milieu de la rue alors que sa soif nouvelle l'avait poussé à sortir en plein jour. Ils voulaient lui arracher sa dignité, mais sans s'en rendre compte ils lui avaient sauvé la vie. Ils lui avaient ouvert les yeux, pour lui révéler le nouveau fardeau qu'elle devrait porter.

Un nouveau cauchemar commençait...