Édimbourg, Écosse
2012
Les coups contre le bois résonnèrent et c'est à peine si Anaëlle y prêta attention. Sans relever la tête, elle ne lâcha pas un son alors qu'à nouveau le bruit retentissait. Finalement lorsque l'opportun en eu assez, il poussa la porte pour découvrir la brune installée à son bureau. Comme souvent, elle était habillée d'un de ces t-shirt de vieux groupe et ne portait dessous qu'un shorty simple mais confortable. Le regard surpris de Timothy, elle ne le vit pas plus qu'elle n'avait entendu les coups frappés contre sa porte. Et à dire vrai, elle ne redressa la tête que lorsque celui-ci s'approcha d'elle et murmura son prénom d'une voix douce. «
Anaëlle... » Elle releva alors ses yeux bleus comme deux pierres précieuses sur son frère, et constata qu'il portait un costume noir. Entièrement noir. Elle détourna le regard, alors que le jeune homme l'observait, sourcils un peu relevés au milieu du front, l'air concerné. «
Tu ne t'es pas habillée pour...-
Ton sens de l'observation est fabuleux, Tim. »
Elle avait choisi de ne pas le laisser achever sa phrase. Elle n'en avait pas besoin, il savait ce qu'il allait dire, et elle n'avait pas envie de l'entendre. Le ton était sec, tranchant, renseignant clairement sur l'humeur de la jeune femme qui habituellement était des plus avenantes avec lui. Mais pas aujourd'hui. Elle ne ferait pas l'effort. Son regard se porta sur la robe disposée sur son lit. Le tissu, la dentelle... tout était noir.
«
Je ne veux pas y aller. »
Ce n'était pas là un caprice qu'elle faisait. Elle n'était plus une gamine. C'était une affirmation douloureuse qui tenait plus de la supplication aux yeux de la jeune femme.
Il resta silencieux un instant avant de regarder les papiers sur le bureau. Des articles de journaux étaient éparpillés, ainsi que des document imprimés et des livres. Il en lu la première phrase d'un des feuillets avant de revenir à sa sœur. Il pinça les lèvres et fronça les sourcils, visiblement inquiet. Leurs regards se croisèrent à nouveau, et elle su immédiatement qu'il avait compris de quoi il retournait. Elle se contenta de hausser les épaules. Oui, elle avait piraté le système informatique de l'hôpital, et oui c'était le dossier du légiste qui se trouvait là.
«
Tu sais bien que tu dois faire un discours en sa mémoire, pourtant. Tu crois pas que tu lui dois au moins ça ? »
Nouveau haussement d'épaule, soupir de Timothy. Il savait sa sœur suffisamment intelligente pour relier les points, il lui faisait confiance à ce sujet. Surtout avec ce qui s'abattait sur le monde en ce moment. Elle aurait dû être avec les scientifiques qui travaillaient à mettre fin à l'épidémie, pas ici.
Aussi détourna-t-il le regard lorsqu'il comprit qu'elle avait découvert quelque chose. Il faut dire qu'un corps laissé avec des traces de morsure humaine (malgré des canines plus développées) pour seules blessures et exsangue, ça n'arrivait pas tous les jours. Des accidents de voiture, des meurtres, c'était banale. Mais ça... C'était un mode opératoire plus que particulier. Un de ceux qu'on retrouvait dans les légendes des temps anciens qui nous étaient parvenus.
Le jeune homme passa une main dans ses cheveux et changea de pied d'appui avant de se décider à aller s'asseoir sur le lit. Anaëlle ne répondit pas à ce qu'il avait dit plus tôt, et n'évoqua pas l'échange de regard qui venait d'avoir lieu. Elle se contenta de baisser la tête vers les papiers qui s'étalaient devant elle, tournant les pages d'un ouvrage. Il savait que le rapport disait qu'il s'agissait sans doute d'une hémorragie interne. Mais il savait également que sa cadette passait la plupart de son temps avec la victime, et qu'elle aurait remarqué les signes d'un choc ayant pu provoquer une telle mort. Il savait qu'elle aimait parcourir sa peau de ses lèvres pour lui offrir son amour, et qu'elle connaissait par cœur l'épiderme de celle qui aujourd'hui n'était plus.
Il savait que c'était la cause des cernes de sa petite sœur aujourd'hui, et non sa maladie qui l'épuisait.
C'était un autre mal qui la rongeait, et le gonflement rougit sous ses yeux indiquait qu'elle n'était pas aussi neutre qu'elle le semblait, qu'elle était touchée plus qu'elle ne voudrait l'admettre. Et c'était sans doute pour ça qu'elle ne voulait pas se rendre là-bas. Le regard de son frère sur elle, pour une fois, la mettait mal à l'aise, et elle décroisa les jambes avant de les croiser à nouveau.
«
Ce n'est qu'un corps Timothy. Un amas de cellules qui va disparaître. Je n'ai pas envie de rendre hommage à ça. » Calme et froide, ces mots usés pour se justifier semblaient davantage vouloir la rassurer, la conforter dans un choix qu'elle savait vacillant. Elle voulait la revoir au moins une fois avant qu'elle disparaisse définitivement. Mais elle savait que si elle faisait ça elle craquerait. Et elle n'avait pas envie de pleurer. Elle avait déjà suffisamment manifesté ses faiblesses au cours des trois derniers jours. «
Je te laisse te changer. Je t'attendrais en bas. »
Il se leva et le bruissement de ses vêtements parvint aux oreilles d'Anaëlle. Puis ce fut le claquement de la porte. Et finalement, la solitude vint lui hurler au visage.
Mais malgré tout elle se redressa et alla enfiler la robe avant de descendre à son tour les escaliers pour rejoindre Timothy en bas. Silencieusement, ils quittèrent la maison familiale vide.
«
Timothy...-
Hum ? »
Les genoux appuyés sur le tableau de bord de la voiture, elle se redressa et posa ses pieds sur le tapis du plancher. Elle regardait les gens dehors qui portaient des masques blancs pour ne pas répandre une maladie dont on ne savait rien, le coude posé contre la portière et sa paume soutenant son menton. «
La vie sera plus jamais la même, pas même pour nous, pas vrai ? »
Il baissa les yeux pour passer une vitesse.
«
Je crains que non, Anaëlle. »
Les yeux céruléens de la jeune femme se fermèrent.